Le théologien suisse, Hans Küng, controversé, ayant néanmoins exercé une influence importante sur le Concile de Vatican II, aborde de façon très sommaire la Science Chrétienne dans son ouvrage majeur : Être chrétien. C’est au cœur d’une réflexion historique, à vocation rationaliste, sur le miracle que la Science Chrétienne est mentionnée : « Jésus a-t-il donc été, en quelque sorte, un praticien de la guérison, qui a mis en œuvre une doctrine, une science du salut ? Le mouvement de la ‘Christian Science’ voit, de fait, en Jésus de Nazareth le premier docteur et praticien de la ‘science chrétienne’ : Jésus initiateur d’une méthode de salut d’un genre nouveau, basée sur la force de la foi ? S’agit-il en effet, du triomphe sur toute imperfection, toute maladie, toute souffrance – finalement qualifiées d’illusions – par une voie intellectuelle et mentale, sans aucune intervention extérieure ? »
Hans Küng justifie son point de vue ensuite en précisant que les guérisons de Jésus n’ont jamais été « régulières » ni « planifiées ». Sur le caractère « non planifié », tout le monde s’accordera. Pour ce qui est de la régularité, nous pouvons légitimement nous interroger : comment fait-il pour affirmer une telle chose alors que les Évangiles sont truffés de guérisons en tous genres ? Il a en réalité consacré les pages précédentes à disqualifier une partie des miracles bibliques, ou, pour être plus précis, à les requalifier.
L’adhésion du chrétien au miracle n’est pas rationnelle pour Küng. Il semble en effet justifié pour lui d’affirmer qu’aujourd’hui, les chrétiens qui « n’éprouvent aucune réticence à admettre que tous les miracles se sont produits à la lettre tels qu’ils sont décrits » sont des fidèles qui accordent trop d’importance à Jésus et « si peu à la conception scientifique et technique du monde et à toutes les difficultés d’ordre historique. » (Être chrétien, Point Seuil, p. 255) Si l’on peut aisément accorder à Küng qu’une lecture littérale des miracles de la Bible, comme de tout autre verset, n’a que peu de sens, et d’intérêt, il est difficile de le suivre dans l’étude qu’il propose des récits miraculeux.
En effet, quiconque est familier de la querelle moderniste qui a pris place au tournant du XXème siècle, serait tenté dire : Rien de très neuf dans cette approche « libérale ». Elle a tout d’une critique rationaliste des Écritures comme l’histoire en a déjà connue. Hans Küng s’en défend cependant, notamment parce qu’il prend le parti de valider certains miracles, ce que les rationalistes ne font en général pas. Force est de constater qu’il en disqualifie aussi beaucoup d’autres, sans que l’on comprenne d’ailleurs comment il fixe la limite entre l’acceptable et l’inacceptable. Ce qui est certain, c’est que toute son approche est très liée à l’état actuel des connaissances scientifiques. Qu’en est-il concrètement ? Les guérisons de maladie que Küng valide sont requalifiées en « maladie d’origine psychique » (p. 258), et ainsi minimisées. Par exemple, les guérisons de la lèpre sont ramenées à « des affections cutanées d’origine psychosomatiques » (ibid.). Il s’appuie ensuite sur une forme d’exégèse biblique pour réduire le nombre de miracles, beaucoup trop important selon lui, dans le corpus évangélique. Le miracle, renommé avec justesse sous le vocable « merveille », marque l’attrait des primitifs chrétiens pour le merveilleux. Les évangélistes auraient ainsi attribué à Jésus des récits largement diffusés à l’époque hellénistique. Assez souvent aussi, la minimisation prend souvent la forme d’une rationalisation : la tempête apaisée devient un sauvetage en mer, la pièce trouvée dans la bouche du poisson, une façon stylisée de dire que c’est le poisson lui-même qui a servi de monnaie pour l’impôt. Enfin, les guérisons du type « Légion » qui implique la noyade des pourceaux sont immédiatement disqualifiée, sans tentative de requalification.
C’est en s’appuyant sur cette approche globalement rationaliste – laquelle ne disqualifie cependant pas la foi ( « Les récits de guérison dans le Nouveau Testament doivent être compris comme relatant les manifestations de la foi » (ibid. p. 259) – que Küng aborde la Science Chrétienne. Il en fait, ce que tout lecteur de Mary Baker Eddy trop pressé de conclure en fait : une religion de guérison, axée sur le rétablissement des malades, une sorte de médecine spirituelle prétendument scientifique dont les hommes n’auraient qu’à s’approprier le corpus idéologique résumé en 600 pages dans Science et Santé pour le mettre en pratique, et vivre tranquillement en bonne santé. Absurde. Et peut-être même diffamatoire, car nul ne peut ignorer qu’une telle position thérapeutique serait dangereuse, sectaire, et donc légitimement condamnable. Rien n’est plus faux donc, car la Science Chrétienne n’a rien à voir avec cela.
Mais venons-en à la description que Küng fait de la Science Chrétienne en quelques points :
Hans Küng associe Jésus à un praticien de la guérison, plaçant lui-même ce terme en italique, et laissant ainsi entendre que c’est ainsi que les praticiens de la Science Chrétienne se définissent. Nulle part dans ses écrits Mary Baker Eddy ne mentionne de « praticien de la guérison ». Le terme de « praticien » est utilisé par Eddy, mais, sachant qu’il sous-entend déjà la guérison, nul besoin donc de redondance, comme pour faire une publicité autour de cet acte guérisseur qui n’est absolument pas fondateur, et qui, de toute façon, n’émane jamais de l’homme, mais toujours de Dieu. Rappelons-le, un praticien ne dispose d’aucun pouvoir personnel. Il prie. Dieu guérit. De la même façon, l’utilisation du terme « science du salut », qui ne se trouve nulle part tel quel dans les écrits d’Eddy, oriente le lecteur vers une compréhension fautive de la Science Chrétienne.
Pourquoi nous arrêter sur ces aspects somme toute mineurs ? Parce qu’ils sont caractéristiques du manque d’exigence dont font preuve les lecteurs de Mary Baker Eddy, et donc de la compréhension régulièrement erronée dont ses oeuvres sont l’objet. Hans Küng ne déroge manifestement pas à la règle. Nous avons dit quelques mots de la notion de « praticien », et nous aurions aimé pouvoir aborder la question du lien entre Science divine et Salut, il n’est pas possible de s’y livrer entièrement ici. Il sera cependant utile d’en dire quelques mots. Eddy écrit (Science et Santé pp. 315-316) : « Expliquant et démontrant le chemin de la Science divine, il [Jésus] devint la voie du salut pour tous ceux qui acceptaient sa parole. » Cela peut sembler, au lecteur inattentif, proche de la position de Küng, ça ne l’est pas. On remarque ici qu’il n’y a point de « science du salut », car c’est Jésus lui-même qui est la « voie du salut », et cette voie se manifeste de deux façon : par l’explication – la parole – et par la démonstration – les oeuvres – de la Science divine – du Saint Esprit.
Un mot maintenant concernant ce que Küng nomme « le triomphe sur toute imperfection, toute maladie, toute souffrance – finalement qualifiées d’illusions – par une voie intellectuelle et mentale, sans aucune intervention extérieure ». Le choix des mots est absolument essentiel, à la fois pour lire Eddy et pour expliciter sa pensée. Car son ouvrage majeur, Science et Santé avec la Clef des Ecritures, a été publié pour la première fois en 1875, et elle l’a remanié jusqu’à la fin de ses jours – dernières modifications, mineures, datées de novembre 1910, un mois avant son décès. 35 années de réécriture du même ouvrage donc. Difficile de croire dans ce cas à une fantaisie légère sur le thème de la guérison chrétienne. Ce livre est une somme, et les mots qui le composent ont été longuement et patiemment réfléchis. Nul doute qu’elle aurait poursuivi son travail de révision si elle avait vécu plus longtemps.
L’intellectualité n’intervient pas dans la théologie d’Eddy. Elle convoque parfois la raison, dont elle reconnaît le caractère supérieur au sein des facultés dites « humaines », mais point d’intellectualisme, et surtout, point d’usage de facultés intellectuelles pour venir à bout du mal. Pourquoi ? Parce que le chemin qui mène à Dieu est un chemin spirituel, et qui dit spiritualité, dit communication divine. Dès lors, lorsqu’Hans Küng affime que la guérison en Science Chrétienne est possible « sans aucune intervention extérieure », rien n’est plus faux. En réalité, c’est tout l’inverse. La seule guérison possible se fait au moyen de ce qu’il nomme une « intervention extérieure », et qui est l’intervention de Dieu, du Christ, qui, selon les mots d’Eddy « vient à la chair pour détruire l’erreur incarnée. » (Science et Santé p. 583) Ce que Küng pose comme un différend théologique avec Eddy n’en est donc en réalité pas un. La guérison peut bien être considérée comme « relatant les manifestations de la foi ». C’est sur la question de la dérogation aux règles naturelles par le miracle que se pose le différend. Il est de nature métaphysique, philosophique : Qu’est-ce que la nature pour Küng et pour Eddy ? Qu’est-ce qu’une « loi naturelle » pour Küng et pour Eddy ? Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Hans Küng justifie son point de vue ensuite en précisant que les guérisons de Jésus n’ont jamais été « régulières » ni « planifiées ». Sur le caractère « non planifié », tout le monde s’accordera. Pour ce qui est de la régularité, nous pouvons légitimement nous interroger : comment fait-il pour affirmer une telle chose alors que les Évangiles sont truffés de guérisons en tous genres ? Il a en réalité consacré les pages précédentes à disqualifier une partie des miracles bibliques, ou, pour être plus précis, à les requalifier.
L’adhésion du chrétien au miracle n’est pas rationnelle pour Küng. Il semble en effet justifié pour lui d’affirmer qu’aujourd’hui, les chrétiens qui « n’éprouvent aucune réticence à admettre que tous les miracles se sont produits à la lettre tels qu’ils sont décrits » sont des fidèles qui accordent trop d’importance à Jésus et « si peu à la conception scientifique et technique du monde et à toutes les difficultés d’ordre historique. » (Être chrétien, Point Seuil, p. 255) Si l’on peut aisément accorder à Küng qu’une lecture littérale des miracles de la Bible, comme de tout autre verset, n’a que peu de sens, et d’intérêt, il est difficile de le suivre dans l’étude qu’il propose des récits miraculeux.
En effet, quiconque est familier de la querelle moderniste qui a pris place au tournant du XXème siècle, serait tenté dire : Rien de très neuf dans cette approche « libérale ». Elle a tout d’une critique rationaliste des Écritures comme l’histoire en a déjà connue. Hans Küng s’en défend cependant, notamment parce qu’il prend le parti de valider certains miracles, ce que les rationalistes ne font en général pas. Force est de constater qu’il en disqualifie aussi beaucoup d’autres, sans que l’on comprenne d’ailleurs comment il fixe la limite entre l’acceptable et l’inacceptable. Ce qui est certain, c’est que toute son approche est très liée à l’état actuel des connaissances scientifiques. Qu’en est-il concrètement ? Les guérisons de maladie que Küng valide sont requalifiées en « maladie d’origine psychique » (p. 258), et ainsi minimisées. Par exemple, les guérisons de la lèpre sont ramenées à « des affections cutanées d’origine psychosomatiques » (ibid.). Il s’appuie ensuite sur une forme d’exégèse biblique pour réduire le nombre de miracles, beaucoup trop important selon lui, dans le corpus évangélique. Le miracle, renommé avec justesse sous le vocable « merveille », marque l’attrait des primitifs chrétiens pour le merveilleux. Les évangélistes auraient ainsi attribué à Jésus des récits largement diffusés à l’époque hellénistique. Assez souvent aussi, la minimisation prend souvent la forme d’une rationalisation : la tempête apaisée devient un sauvetage en mer, la pièce trouvée dans la bouche du poisson, une façon stylisée de dire que c’est le poisson lui-même qui a servi de monnaie pour l’impôt. Enfin, les guérisons du type « Légion » qui implique la noyade des pourceaux sont immédiatement disqualifiée, sans tentative de requalification.
C’est en s’appuyant sur cette approche globalement rationaliste – laquelle ne disqualifie cependant pas la foi ( « Les récits de guérison dans le Nouveau Testament doivent être compris comme relatant les manifestations de la foi » (ibid. p. 259) – que Küng aborde la Science Chrétienne. Il en fait, ce que tout lecteur de Mary Baker Eddy trop pressé de conclure en fait : une religion de guérison, axée sur le rétablissement des malades, une sorte de médecine spirituelle prétendument scientifique dont les hommes n’auraient qu’à s’approprier le corpus idéologique résumé en 600 pages dans Science et Santé pour le mettre en pratique, et vivre tranquillement en bonne santé. Absurde. Et peut-être même diffamatoire, car nul ne peut ignorer qu’une telle position thérapeutique serait dangereuse, sectaire, et donc légitimement condamnable. Rien n’est plus faux donc, car la Science Chrétienne n’a rien à voir avec cela.
Mais venons-en à la description que Küng fait de la Science Chrétienne en quelques points :
Hans Küng associe Jésus à un praticien de la guérison, plaçant lui-même ce terme en italique, et laissant ainsi entendre que c’est ainsi que les praticiens de la Science Chrétienne se définissent. Nulle part dans ses écrits Mary Baker Eddy ne mentionne de « praticien de la guérison ». Le terme de « praticien » est utilisé par Eddy, mais, sachant qu’il sous-entend déjà la guérison, nul besoin donc de redondance, comme pour faire une publicité autour de cet acte guérisseur qui n’est absolument pas fondateur, et qui, de toute façon, n’émane jamais de l’homme, mais toujours de Dieu. Rappelons-le, un praticien ne dispose d’aucun pouvoir personnel. Il prie. Dieu guérit. De la même façon, l’utilisation du terme « science du salut », qui ne se trouve nulle part tel quel dans les écrits d’Eddy, oriente le lecteur vers une compréhension fautive de la Science Chrétienne.
Pourquoi nous arrêter sur ces aspects somme toute mineurs ? Parce qu’ils sont caractéristiques du manque d’exigence dont font preuve les lecteurs de Mary Baker Eddy, et donc de la compréhension régulièrement erronée dont ses oeuvres sont l’objet. Hans Küng ne déroge manifestement pas à la règle. Nous avons dit quelques mots de la notion de « praticien », et nous aurions aimé pouvoir aborder la question du lien entre Science divine et Salut, il n’est pas possible de s’y livrer entièrement ici. Il sera cependant utile d’en dire quelques mots. Eddy écrit (Science et Santé pp. 315-316) : « Expliquant et démontrant le chemin de la Science divine, il [Jésus] devint la voie du salut pour tous ceux qui acceptaient sa parole. » Cela peut sembler, au lecteur inattentif, proche de la position de Küng, ça ne l’est pas. On remarque ici qu’il n’y a point de « science du salut », car c’est Jésus lui-même qui est la « voie du salut », et cette voie se manifeste de deux façon : par l’explication – la parole – et par la démonstration – les oeuvres – de la Science divine – du Saint Esprit.
Un mot maintenant concernant ce que Küng nomme « le triomphe sur toute imperfection, toute maladie, toute souffrance – finalement qualifiées d’illusions – par une voie intellectuelle et mentale, sans aucune intervention extérieure ». Le choix des mots est absolument essentiel, à la fois pour lire Eddy et pour expliciter sa pensée. Car son ouvrage majeur, Science et Santé avec la Clef des Ecritures, a été publié pour la première fois en 1875, et elle l’a remanié jusqu’à la fin de ses jours – dernières modifications, mineures, datées de novembre 1910, un mois avant son décès. 35 années de réécriture du même ouvrage donc. Difficile de croire dans ce cas à une fantaisie légère sur le thème de la guérison chrétienne. Ce livre est une somme, et les mots qui le composent ont été longuement et patiemment réfléchis. Nul doute qu’elle aurait poursuivi son travail de révision si elle avait vécu plus longtemps.
L’intellectualité n’intervient pas dans la théologie d’Eddy. Elle convoque parfois la raison, dont elle reconnaît le caractère supérieur au sein des facultés dites « humaines », mais point d’intellectualisme, et surtout, point d’usage de facultés intellectuelles pour venir à bout du mal. Pourquoi ? Parce que le chemin qui mène à Dieu est un chemin spirituel, et qui dit spiritualité, dit communication divine. Dès lors, lorsqu’Hans Küng affime que la guérison en Science Chrétienne est possible « sans aucune intervention extérieure », rien n’est plus faux. En réalité, c’est tout l’inverse. La seule guérison possible se fait au moyen de ce qu’il nomme une « intervention extérieure », et qui est l’intervention de Dieu, du Christ, qui, selon les mots d’Eddy « vient à la chair pour détruire l’erreur incarnée. » (Science et Santé p. 583) Ce que Küng pose comme un différend théologique avec Eddy n’en est donc en réalité pas un. La guérison peut bien être considérée comme « relatant les manifestations de la foi ». C’est sur la question de la dérogation aux règles naturelles par le miracle que se pose le différend. Il est de nature métaphysique, philosophique : Qu’est-ce que la nature pour Küng et pour Eddy ? Qu’est-ce qu’une « loi naturelle » pour Küng et pour Eddy ? Nous aurons l’occasion d’y revenir.